Benjamin Stora au Jeune Indépendant : L’histoire de l’immigration algérienne mérite d’être racontée  

Un « défi relevé », le défi de narration d’une « histoire longue » de l’immigration algérienne, qui plus est au moyen de l’image dessinée. C’est avec un immense soulagement et le sentiment du challenge accompli que Benjamin Stora évoque sa dernière nouveauté. Au soir d’une saison estivale au cours de laquelle, fidèle à ses […] The post Benjamin Stora au Jeune Indépendant : L’histoire de l’immigration algérienne mérite d’être racontée   appeared first on Le Jeune Indépendant.

Sep 3, 2024 - 15:40
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Benjamin Stora au Jeune Indépendant :  L’histoire de l’immigration algérienne mérite d’être racontée   

Un « défi relevé », le défi de narration d’une « histoire longue » de l’immigration algérienne, qui plus est au moyen de l’image dessinée. C’est avec un immense soulagement et le sentiment du challenge accompli que Benjamin Stora évoque sa dernière nouveauté. Au soir d’une saison estivale au cours de laquelle, fidèle à ses habitudes, il a alterné entre moments de repos et activités dans le registre qui est le sien, l’historien s’est prêté au jeu du ‘’questions-réponses’’ avec Le Jeune Indépendant. Un échange au cours duquel il détaille la singularité de « Les Algériens en France » au regard de ses publications antérieures. 

 

Le Jeune Indépendant : Comment est née l’idée de ces ‘’dessins d’une immigration’’, une diaspora assurément singulière à laquelle vous avez consacré une volumineuse thèse de doctorat d’Etat ? 

Benjamin Stora : Avec Nicolas Le Scanff, un dessinateur au talent reconnu, nous avons jugé opportun de mettre en dessins le long vécu d’une communauté algérienne qui a traversé le siècle. C’est une diaspora plus que centenaire dont l’histoire s’étire sur trois générations. Pour en faire le récit, nous nous sommes gardés de suivre le cours chronologique. Nous avons choisi de partir de la « Marche pour l’égalité des Droits », médiatiquement connue sous le nom de « Marche des Beurs ». Cette marche dont on a commémoré récemment le 40e anniversaire s’est ébranlée de Marseille le 15 octobre 1983 avec un cortège de 32 personnes. Quand elle arrive à Lyon le 31 octobre, les marcheurs sont un millier. Leur nombre atteint 60.000 à l’étape de Strasbourg avant de culminer à 100.000 à l’arrivée à Paris le 3 décembre.

Votre histoire dessinée de l’immigration est mise en scène à travers les souvenirs de Samia, Farid et d’autres. Autant de personnages qui, visiblement, étaient au rang des marcheurs à l’automne 1983.

Cette histoire se décline comme un récit dans le récit. Elle raconte à la fois l’immigration algérienne en France mais aussi une histoire française très particulière, celle de la deuxième et de la troisième génération. Nous avons, en effet, suivi les trajectoires de Samia, Farid et d’autres personnages. Ils se souviennent tous de l’histoire de l’arrivée de leurs parents dans des conditions difficiles, et qui se battent contre le racisme.

Instruits à la différence de la majorité de leurs parents, politisés, débordant d’activisme sur le terrain associatif, ils évoquent les combats politiques de leurs parents comme la manifestation du 14 juillet 1953, à Paris, réprimée violemment et aujourd’hui encore oubliée, ou celle du 17 octobre 1961. Une mémoire tragique à laquelle ils sont restés fidèles. Samia, Farid et les autres acteurs de cette histoire dessinée seront ‘’pris’’ dans la société française des années 1980-1990. Une société dont la quotidienneté sociale et politique se déploie au rythme de la montée du chômage et de l’avancée du Front national. Conséquence immédiate de la poussée de l’extrême droite, les jeunes issus de l’immigration font montre d’un engagement antiraciste et c’est un engagement collectif.

Au fil des pages et au fil des épisodes qui rythment le vécu des Algériens en France, le lecteur se retrouve embarqué à bord d’un voyage dans l’histoire de l’immigration algérienne.

Pour de multiples raisons, l’histoire de cette immigration méritait d’être racontée de manière dessinée. Pendant de longues années, des premiers arrivés jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, les Algériens en France n’étaient pas considérés comme des étrangers mais des gens venus d’un territoire considéré comme français. Ils n’étaient pas non plus des immigrés comme d’autres immigrés installés à l’époque en France.

Les Algériens en France étaient considérés comme des sujets coloniaux appartenant à un Empire colonial où les ‘’indigènes’’ étaient privés des droits de la citoyenneté. Ils étaient ainsi des personnes invisibles dans la société française. Dès lors, nous nous sommes posés une somme de questions à l’heure de nous lancer dans le projet de cette BD. Comment sortir de l’ombre ces « hommes sans nom » ? Comment montrer par les dessins l’histoire si compliquée d’une immigration à la fois attachée à son pays d’origine, l’Algérie, et aspirant à retrouver son nom propre, par le militantisme politique ? Comment illustrer ce désir de vouloir vivre, donc « s’intégrer » dans cette métropole coloniale, et participer à un combat anticolonial ? Il fallait par l’image relever le défi de ces contradictions apparentes.

Qu’il s’agisse des dessins, des bulles ou des paragraphes lapidaires pour situer les contextes, « Les Algériens en France » portraiture une diaspora dynamique, une communauté aux multiples vies.

La BD résonne comme un écho à une histoire longue, un récit vivant où les scènes, particulièrement évocatrices, s’y succèdent. Au fil des dessins, on retrouve la vie d’un café et ses ambiances particulières où les musiques berbère, chaâbi et les mélodies du terroir ont joué un grand rôle pour briser la solitude de l’exil. On y rencontre aussi des ouvriers à la tâche dans les bassins miniers et dans l’industrie des « trente glorieuses » dans la France des années 1960. Sauf à occulter une page entière de cette histoire, la BD décrit les bidonvilles misérables qui, à la périphérie de Paris, Marseille et des autres grandes villes, servaient de lieu de résidence pour les familles algériennes. Nous racontons aussi les premiers engagements politiques avec la création de l’Etoile-Nord-Africaine à Paris en 1926 et du Parti du Peuple Algérien (PPA) à Nanterre en 1937.

Tel que vous le représentez dans les années 1920 à la fin de la guerre d’Algérie, l’immigré algérien n’est pas la copie conforme de l’immigré qui s’exile en quête de boulot et dont le vécu se réduit au ‘’boulot-dodo’’. 

Précisément, j’ai voulu prendre à contre-pied les clichés des travailleurs immigrés subissant l’exploitation, écrasés par la misère, et se contentant de dormir après un travail harassant. Remake de l’approche qui a été la mienne dans la thèse de doctorat d’Etat – « Histoire politique de l’immigration algérienne » –, j’ai fait le récit d’hommes qui menaient une « double vie » : celle du travailleur obstiné et du militant engagé ; la vie de ceux qui rêvaient d’un « retour au pays » et, en même temps, se mettaient en recherche d’un logement digne pour leurs familles qui commençaient à arriver en France dans les années 1950-1960, dans la région lyonnaise, du Nord, ou de l’Est de la France, et, bien sûr, à Marseille, pendant la guerre d’Algérie. Pour cela, il fallait tout le talent et la créativité du dessinateur Nicolas Le Scanff, qui a su mettre en scène les tourbillons d’une diaspora toujours au cœur de l’actualité.

Dévoreur de Tintin, Spirou, Lucky Luke, Blek le Roc, Akim à l’heure de l’enfance et de l’adolescence à Constantine, lecteur de Pif et autre Rahan à l’arrivée à Paris, vous voici désormais familier, en tant que co-auteur, du monde de la BD. Quid de ce glissement vers la plus illustrée des collections éditoriales ?

 Mon expérience inaugurale date de 1998, année au cours de laquelle j’ai été sollicité pour préfacer, en historien, le premier tome de « Azrayen », une bande dessinée historique portant sur la guerre d’Algérie. Cette BD a été scénarisée par Frank Giroud et dessinée par Christian Lax. En 2016, les éditions du Seuil (éditeur de Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, ndlr) m’ont sollicité pour écrire le scénario d’une bande dessinée dédiée à la guerre d’Algérie. Cette « Histoire dessinée de la guerre d’Algérie » a été illustrée Sébastien Vassant. C’était dans la foulée de « La guerre d’Algérie expliquée à tous », un livre que j’ai publié chez cette maison et qui avait connu un succès auprès des lecteurs. A posteriori, je revisite cette première expérience non sans un certain amusement. Je pensais que la BD était un exercice facile. Je me suis trompé.

La BD, c’est assurément un autre langage éditorial. J’ai eu l’occasion de le souligner dans d’autres échanges avec la presse : Une BD est un exercice différent d’un essai ou d’un livre classique. C’est comme dans un documentaire, un genre que j’ai pratiqué à partir de 1991 et « Les Années algériennes ». Dans ce qui relève de l’illustration, les auteurs sont tenus d’être précis et de ne pas se disperser. Parce que la BD s’adresse au plus grand nombre, notamment les jeunes, parce qu’elle a vocation à être pédagogique, la BD est une écriture très exigeante en termes de rythme. Je l’ai constaté dans « Histoire dessinée de la guerre d’Algérie » et « Histoire dessinée des Juifs d’Algérie ». J’en prend la mesure avec « Les Algériens en France ».

 

 

 

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