Carte gagnante et carte perdante pour les démocrates

Dans son discours clôturant la convention démocrate à Chicago, dit discours d’acceptation, Kamala Harris a mis en relief les deux points forts de sa campagne, l’un étant d’ordre économique et l’autre d’ordre social, mais aussi le point faible, par où justement pourrait venir la défaite le 5 novembre prochain. Si elle doit gagner face à Donald Trump, ce serait parce qu’elle aurait convaincu la classe moyenne de la préférer à son rival, qui lui aussi chasse sur le même terrain qu’elle, et s’est d’ailleurs choisi pour coéquipier quelqu’un qu’il estime le mieux placé pour faire pencher en sa faveur les classes moyennes de 3 des 7 Swing States les plus disputés. La présidentielle américaine, à la différence de toute autre dans le monde, ne se joue pas sur l’ensemble du territoire national, mais dans un nombre limité d’Etats, qui décident du résultat global, les autres ayant une identité politique affirmée en faveur de l’un ou l’autre camp en présence. Tout le monde est bien conscient que cette élection n’est pas comme les autres. Harris a dit qu’elle était non seulement la plus importante sur plusieurs générations, mais qu’elle était également l’une des plus importantes de l’histoire des Etats-Unis. Pour cela justement, elle est l’élection qu’il ne faut perdre à aucun prix.

Pour autant, la candidate démocrate n’a pas exprimé, comme Joe Biden, sa crainte d’un transfert non pacifique du pouvoir, dans le cas d’une défaite de Trump, d’ailleurs seul scénario qu’avait Biden à l’esprit. Trump comme Harris rivaliseront de promesses en faveur des classes moyennes, de sorte que ce n’est peut-être pas là le terrain à même de les départager. Le véritable point fort des démocrates se situe sur un tout autre plan, celui de la liberté en matière de reproduction, autrement dit du droit à l’avortement, remis en cause dernièrement par la Cour suprême à majorité conservatrice. Quand les démocrates disent que le projet républicain est réactionnaire, un mot qu’eux-mêmes évitent, c’est à cela qu’ils pensent d’abord et avant tout. Le droit à l’avortement est un droit fondamental dans une société libérale. Le remettre en cause, comme font les conservateurs américains, dont Trump est à la fois le candidat et le chef, équivaut à une révolution dans les mœurs, à un changement de société. Les Etats-Unis ne sont déjà plus les mêmes que du temps où ce droit était garanti dans tous les Etats. La Cour suprême en a fait, qui plus est sous un président démocrate, une question d’intérêt local. Les Etats-Unis étaient divisés entre Etats libéraux et Etats conservateurs. Aujourd’hui ils le sont entre Etats où les femmes ont le droit d’avorter et ceux où elles ne l’ont pas. Si les démocrates conservent la Maison-Blanche, ce sera pour l’essentiel pour avoir défendu ce droit fondamental ; mieux, pour en avoir fait leur principal cheval de bataille. La «reproductive freedom for all» est leur atout, leur carte gagnante. C’est à elle que le cas échéant ils devront la victoire. Ils ne seront pas nécessairement sortis de l’auberge pour autant, car même alors le transfert pacifique du pouvoir restera en question. Mais s’ils perdent, ce qui est loin d’être une vue de l’esprit, ils le devront à leur soutien inconditionnel à Israël dans sa guerre génocidaire contre les Palestiniens de Ghaza. A Milwaukee, les républicains ont tenu une seule convention. A Chicago, les démocrates en ont tenu deux, l’une dans la salle, et l’autre hors de celle-ci, sans aucune passerelle entre les deux. Or pour remporter une présidentielle existentielle comme celle qui vient, il faudra que pas une voix démocrate ne manque à Kamala Harris le jour J. La victoire est à ce prix, et seulement à ce prix.