Interview – Glenn Diesen : «L’OTAN est le principal instigateur de conflits et de guerres»

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Aou 20, 2024 - 11:35
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Interview – Glenn Diesen : «L’OTAN est le principal instigateur de conflits et de guerres»

Mohsen Abdelmoumen : Vous venez de publier l’excellent ouvrage The Ukraine War & the Eurasian World Order (La guerre en Ukraine et l’ordre mondial eurasien). Dans ce livre très intéressant, vous faites une lecture sur l’Etat du monde actuel. Pensez-vous que nous sommes dans une fin de cycle et dans un processus marquant la fin de l’hégémonie occidentale ? A votre avis, le processus pour l’avènement d’un monde multipolaire sera-t-il long ?

Glenn Diesen : Le monde est déjà multipolaire en termes de répartition internationale du pouvoir économique et de la puissance militaire. Toutefois, les institutions internationales et les règles d’un ordre mondial multipolaire n’ont pas été mises en place car cette transition se heurte à des résistances. Les conflits et les guerres qui sont déjà là, ou qui arriveront bientôt, découlent de l’interrègne actuel car l’Occident fait pression pour restaurer l’unipolarité, alors que la majorité mondiale réclame la multipolarité. Le contrôle administratif de l’Occident sur le système économique international est utilisé pour maintenir les structures hégémoniques et affaiblir les rivaux stratégiques, ce qui accroît la pression sur le reste du monde visant à le dissocier et à créer des dispositifs et des institutions alternatifs.

Ne pensez-vous pas que l’OTAN, cette organisation criminelle au service de l’oligarchie occidentale, doit être impérativement démantelée ?

L’expansion de l’OTAN est la manifestation de l’ordre unipolaire de l’après-guerre froide, puisqu’elle a annulé un ordre de sécurité paneuropéen inclusif. L’OTAN est donc, comme on peut s’y attendre, le principal instigateur de conflits et de guerres en tant qu’instrument militaire d’hégémonie. Pourtant, la réponse ne doit pas se résumer à la préservation ou à la dissolution de l’OTAN. Pendant la guerre froide, l’OTAN était une puissance de statu quo mais, après la guerre froide, elle est devenue un bloc révisionniste en poursuivant l’expansionnisme et l’interventionnisme militaire. Les alliances en temps de paix tendent à déstabiliser le système international, même si l’OTAN pourrait jouer un certain rôle si elle se subordonnait à une architecture de sécurité paneuropéenne et ne s’élevait pas au-dessus du droit international en conformité avec la Charte des Nations unies. Il serait très difficile d’y parvenir car l’hégémonie par le militarisme est l’objectif principal de l’OTAN.

Avec la défaite stratégique de l’Occident en Ukraine, n’assiste-t-on pas à un changement de paradigme annonçant un nouvel ordre mondial ?

La défaite de l’OTAN en Ukraine sera un choc énorme pour l’Occident. Les Etats agissent sans contrainte et ne cessent de s’étendre que lorsqu’il y a un équilibre. L’effondrement de l’Union soviétique a libéré les pulsions expansionnistes de l’Occident, qui se sont manifestées par l’expansion de l’OTAN et l’agression militaire dans le monde entier. La défaite de l’OTAN en Ukraine marquera la fin de l’ordre mondial unipolaire, l’Occident devant accepter qu’il a été neutralisé. Cela devra modifier l’objectif de l’OTAN, la dynamique interne entre les Etats membres de l’OTAN, la façon dont la diplomatie est menée et de nombreux autres aspects qui cimenteront un nouvel ordre mondial basé sur la multipolarité.

Les Occidentaux ont fait une panoplie de sanctions économiques contre la Russie. A votre avis, cette politique de sanctions contre la Russie n’est-elle pas un échec total pour les Occidentaux ?

Oui, les sanctions reflètent la mentalité hégémonique d’un ordre mondial unipolaire. Le postulat est que l’Occident est le centre indispensable du pouvoir économique et que la Russie s’effondrerait à cause des sanctions. En réalité, la Russie pourrait se détourner de ses partenaires économiques occidentaux et l’économie russe est en pleine croissance. En revanche, les Européens ne peuvent se détourner des ressources naturelles russes et les industries européennes ne sont donc plus compétitives car l’énergie est le nerf de la guerre. Il en va de même pour la guerre économique menée par les Etats-Unis contre la Chine. L’objectif de détruire l’industrie chinoise des puces a échoué car la Chine a pu se diversifier et poursuivre son autosuffisance, tandis que les industries technologiques américaines telles qu’Intel souffrent grandement de la perte du marché chinois. Il s’agit d’un nouveau monde multipolaire, et l’Occident continuera à souffrir jusqu’à ce qu’il s’adapte à cette nouvelle réalité.

Vous avez aussi écrit Russophobia : Propaganda in International Politics (Russophobie : la propagande dans la politique internationale). Comment expliquez-vous la russophobie des élites dirigeantes occidentales ?

La Russie a toujours joué un rôle central dans la formation de l’identité occidentale. Les êtres humains s’organisent en groupes et l’un de leurs principaux instincts est d’identifier le groupe d’appartenance («nous») et le groupe d’exclusion («eux»). Au cours de l’histoire, la Russie s’est vu attribuer le rôle de l’«autre» de l’Occident, comme c’était le cas pour l’Ouest par rapport à l’Est, les civilisés par rapport aux barbares, les Européens par rapport aux Asiatiques, les libéraux par rapport aux autoritaires, les supérieurs par rapport aux inférieurs, etc. Pendant des siècles, la Russie a été présentée de manière simpliste et propagandiste comme l’opposé de l’Occident. La Russie joue donc un rôle important en étant dépeinte comme le méchant barbare aux portes de l’Europe, ce qui cimente l’identité et la solidarité de l’Occident.

Votre livre Europe as the Western Peninsula of Greater Eurasia: Geoeconomic Regions in a Multipolar World (L’Europe comme péninsule occidentale de la Grande Eurasie : régions géoéconomiques dans un monde multipolaire) est également très intéressant. Ne pensez-vous pas que la politique suiviste européenne à l’égard des Etats-Unis risque de causer la perte de l’Europe économiquement et politiquement ? Quelles sont les perspectives pour l’Europe dans un monde libéral chaotique ?

Alors que le monde est passé à la multipolarité, les Etats qui veulent agir en tant que pôle de puissance indépendant doivent diversifier leurs partenariats économiques. Dans le monde entier, des pays aussi divers que l’Inde, la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Brésil et d’autres tentent de diversifier leurs partenariats économiques pour éviter d’être subordonnés à un bloc. Les Européens font exactement le contraire en rompant leurs liens économiques avec la Russie, la Chine, l’Iran et d’autres pays sur ordre des Etats-Unis. Le résultat est que les économies européennes s’affaiblissent et deviennent excessivement dépendantes des Etats-Unis. Le résultat prévisible est la perte d’autonomie politique et la diminution de l’importance de l’Europe.

N’assiste-t-on pas à un moment historique où l’éclatement de l’Europe est inéluctable ?

Les Etats européens ne défendent plus leurs intérêts nationaux fondamentaux, ce qui les plonge dans le marasme. La situation pourrait être inversée, mais il n’y a pas de leadership politique.

Quelle lecture donnez-vous de l’émergence d’un mouvement souverainiste qui va des Etats-Unis vers l’Europe ?

Il s’agira très probablement de mouvements nationalistes-populistes qui prônent le rétablissement de la souveraineté nationale et la défense des intérêts nationaux fondamentaux. Toutefois, nombre de ces mouvements sont très peu crédibles et comptent des membres peu recommandables.

Comment expliquez-vous le soutien des Occidentaux à coups de milliards de dollars au régime néonazi d’Ukraine, et ce malgré l’illégitimité de Zelensky ?

Je ne pense pas que le soutien repose sur la légitimité. Les groupes fascistes sont utilisés par les Etats-Unis depuis plus d’une décennie comme un veto à la volonté démocratique des Ukrainiens. Les Etats-Unis ont construit l’Ukraine comme un acteur par procuration au cours de la dernière décennie, ils ont capturé la classe politique et l’armée tandis que la société a été mise à l’écart. Les milliards de dollars sont nécessaires en l’absence de légitimité.

Notre Etat-nation, à savoir l’Algérie, fait face à de multiples tentatives de déstabilisation de la part de cercles occultes occidentaux. Notre pays soutient des causes justes tout en prônant une politique de non-ingérence dans les affaires internes des pays. Pourquoi ces dirigeants occidentaux veulent-ils imposer leur diktat à des Etats souverains ? Quand ces dirigeants occidentaux cesseront-ils de donner des leçons de démocratie et de droits de l’homme ? Ne devraient-ils pas s’occuper de leurs propres affaires plus que de se mêler de celles des autres ?

Tout au long de l’histoire, les Etats se sont référés aux valeurs universelles pour refuser l’égalité souveraine à d’autres Etats. Dans le passé, les Etats et les peuples «civilisés» avaient droit à la souveraineté, tandis que les peuples «barbares» n’y avaient pas droit. A l’époque actuelle, le clivage entre démocratie libérale et autoritarisme est la raison d’être des inégalités en matière de souveraineté. Certains croient sincèrement à la nouvelle mission civilisatrice de la démocratie libérale mais, pour d’autres, elle n’est qu’un instrument de la politique de pouvoir.

Pensez-vous que nous nous dirigeons vers une guerre mondiale ?

Oui, il y a une escalade sans fin dans plusieurs parties du monde sans qu’il y ait une volonté politique de comprendre ou même de parler à l’autre partie. Lorsque quelqu’un croit que le monde est divisé par les valeurs du bien et du mal, alors la diplomatie et le compromis deviennent une forme de complaisance, et la paix est obtenue en détruisant l’adversaire.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est Glenn Diesen ?

Glenn Diesen est professeur à l’université du sud-est de la Norvège (USN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Russia in Global Affairs. Il est membre du conseil d’administration de l’Institut international pour la paix (IPP) à Vienne, du Centre d’études sur le nationalisme (CNS) à Sarajevo et de Contemporary World Economy à Moscou. Ses recherches portent principalement sur la politique étrangère russe, la géoéconomie et l’intégration eurasienne. Le professeur Diesen a publié onze livres traduits dans plusieurs langues, ainsi que de nombreux articles de journaux et chapitres de livres. Glenn Diesen est fréquemment invité comme conférencier dans le monde entier et collabore régulièrement avec les médias internationaux.

Parmi ses livres, citons Russophobia: Propaganda in International Politics  (2023) (Russophobie : la propagande dans la politique internationale) ; The Think Tank Racket: Managing the Information War with Russia (2023) (Le racket des think tanks : gérer la guerre de l’information avec la Russie) ; Great Power Politics in the Fourth Industrial Revolution: The Geoeconomics of Technological Sovereignty  (2022) (La politique des grandes puissances dans la quatrième révolution industrielle : la géoéconomie de la souveraineté technologique) ; Europe as the Western Peninsula of Greater Eurasia: Geoeconomic Regions in a Multipolar World (2023) (l’Europe, péninsule occidentale de la Grande Eurasie : régions géoéconomiques dans un monde multipolaire) ; Russian Conservatism: Managing Change under Permanent Revolution  (2021) (le conservatisme russe : gérer le changement dans le cadre d’une révolution permanente) ; The Ukraine War & the Eurasian World Order (2024) (la guerre en Ukraine et l’ordre mondial eurasien).

 

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