La France cède à la pression du Maroc sur le Sahara occidental: «Une autonomie qui ne peut être mise en place»

C’est le genre d’articles que l’ambassadrice du Maroc en France aimerait ne pas retrouver dans la revue de presse préparée quotidiennement par son service de communication. A l’image de tous ceux qui, depuis la période du roi Hassan II, l’ont devancée à la tête de la chancellerie parisienne, Samira Sitaïl – en poste depuis février […] The post La France cède à la pression du Maroc sur le Sahara occidental: «Une autonomie qui ne peut être mise en place» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Aou 11, 2024 - 02:30
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La France cède à la pression du Maroc sur le Sahara occidental:  «Une autonomie qui ne peut être mise en place»

C’est le genre d’articles que l’ambassadrice du Maroc en France aimerait ne pas retrouver dans la revue de presse préparée quotidiennement par son service de communication. A l’image de tous ceux qui, depuis la période du roi Hassan II, l’ont devancée à la tête de la chancellerie parisienne, Samira Sitaïl – en poste depuis février dernier – aurait souhaité ne pas tomber sur un texte étalé sur trois colonnes et un tiers de la page 21 du quotidien Le Monde en kiosque vendredi après-midi.

Il ne s’agit pas d’un article rédigé par un journaliste de la rédaction, mais d’une ‘’tribune libre’’, un de ces points de vue auxquels, depuis sa création par Hubert Beuve-Méry en 1944, le quotidien du soir dédie un espace substantiel de sa surface rédactionnelle. Cohabitant avec l’éditorial du jour consacré à une énième anomalie de la politique spatiale US, la ‘’tribune libre’’ parle aux lecteurs au moyen d’un titre irritant aux yeux des communicants du Palais : ‘’Paris cède à la pression du Maroc sur le Sahara occidental’’.      

Facteur dérangeant au regard de Rabat, le texte est signé Khadidja Mohsen-Finan, une politologue spécialiste des Maghreb et des questions méditerranéennes et, surtout, l’une des meilleures spécialistes du conflit du Sahara occidental. Publié en 1997 aux éditions du CNRS – la plus académique des maisons d’éditions françaises –, son livre ‘’Sahara occidental. Les enjeux d’un conflit région’’ reste une référence en la matière pour saisir les clés du conflit. La chercheuse n’en finit pas de le remettre en perspective au gré des articles et des colloques auxquels elle est invitée.  

La politologue pointe, en s’en inquiétant, le changement d’attitude de la France à l’égard du conflit. ‘’Aux yeux de la diplomatie française, les miracles sont possibles et une simple phrase modifiée peut contenter tout le monde, ou presque. Paris, qui a toujours estimé que le plan d’autonomie proposé par Rabat en 2007 était « une base de discussion sérieuse et crédible », le considère désormais comme « la seule base ». Et la chercheuse d’épingler d’emblée cette évolution. ‘’En considérant l’autonomie comme unique base de discussion, la France écarte le référendum d’autodétermination voulu par le Front Polisario et retenu par les Nations unies. Elle cède ainsi à la pression marocaine et se réfère à une autonomie dont elle sait pertinemment qu’elle ne peut être mise en place’’.

‘’Si la satisfaction de Rabat est acquise, le cabinet royal s’étant félicité de cette annonce « en soutien à la souveraineté marocaine », la conformité au droit international pose question’’, souligne la politologue. En examinant, mot à mot, les termes de la lettre adressée Emmanuel Macron au roi du Maroc, la spécialiste du conflit du Sahara occidental s’attarde sur cette partie de la missive présidentielle justifiant le changement de cap : souci « d’aller de l’avant », puisqu’il est « temps d’avancer ». D’où la question de Khadidja Mohsen-Finan : ‘’alors comment avance-t-on et quelle autonomie s’agit-il de mettre en place ?’’.

Des contrats juteux en jeu 

Pour la chercheuse, ‘’l’interrogation est d’autant plus légitime que la France semble être déjà passée à l’étape suivante, considérant le moment venu d’examiner les contrats juteux qui pourraient intéresser les chefs d’entreprise français’’. Ces derniers ‘’ont été informés du nouveau positionnement de la France, avant même l’envoi de cette lettre’’, rappelle-t-elle de manière très circonstanciée. ‘’Déjà, en avril, et avant même que ce changement ne fût annoncé par le chef de l’Etat, Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, en visite à Rabat, évoquait le financement de plusieurs projets dans cette région, par le biais des banques publiques françaises, et notamment de la ligne électrique à haute tension qui reliera Dakhla, au Sahara occidental, à Casablanca’’.

Deux mois avant la visite du patron de Bercy, le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, ‘’mentionnait, à Rabat, la nécessité pour la France « d’accompagner [le Maroc], dans la poursuite du développement économique et social de la région », ajoutant, précautionneux, et soucieux du droit, « au bénéfice des populations locales ».

Les éléments de langage mis en avant par l’Elysée et les premiers responsables du Quai d’Orsay et de Bercy pour justifier le repositionnement diplomatique français passe mal à en croire les lectures de nombre d’observateurs médiatiques et académiques dont celle – lourde de sens — de Mohsen-Finan : ‘’Il est pourtant difficile d’évoquer une autonomie de la région ou encore le bénéfice d’une quelconque population locale.

Depuis 1975, le Maroc a annexé ce territoire, administré sa population et en a exploité les ressources. Encouragés par un système de subventions des produits et de salaires majorés mis en place par Hassan II, de nombreux Marocains s’y sont installés, favorisant ainsi le brassage des populations sahraouie et marocaine, de manière à anéantir toute identité sahraouie. Au terme de cinq décennies, il est évidemment difficile de distinguer un Sahraoui d’un habitant venu du Maroc. Considéré comme un succès aux yeux du pouvoir marocain, ce brassage a notamment rendu impossible toute consultation de la population que les textes juridiques désignent comme « locale »’’.

La chercheuse ne s’arrête pas là mais va jusqu’à s’interroger sur la crédibilité de l’option vendue par le Palais. ‘’De la même manière, ajoute-t-elle, il est impossible de concevoir la mise en place d’une autonomie qui consisterait à opérer un transfert des pouvoirs et une gestion des finances propre à la région.

Comment imaginer que le Maroc, qui se sent aujourd’hui vainqueur et, après avoir exercé, cinq décennies durant, un pouvoir autoritaire sur cette région annexée, exploitant ses ressources naturelles et réprimant les Sahraouis récalcitrants, se sentirait dans l’obligation de confier la gestion politique et financière de cette région à des élus sahraouis ? Pourquoi se priverait-il des nombreuses ressources de cette région particulièrement riche (phosphates, pétrole, poissons, agriculture, tourisme…) et dont l’exploitation s’est faite sans que la population de ce territoire en bénéficie, comme le stipulent les textes juridiques ?’’

Quid du changement de cap dans la position française à l’endroit du conflit aux yeux de la politologue ? ‘’En se référant à l’autonomie et au bénéfice des populations locales, la France paraît afficher son respect pour le droit international, alors qu’elle appuie une initiative marocaine destinée à contourner ce droit, en amenant le plus grand nombre d’Etats à accepter sa gestion et son administration d’un territoire qui continue d’être considéré comme non autonome par les Nations unies’’.  

En 2020, note-t-elle en guise de rappel, la France ‘’n’a pas suivi’’ Donald Trump et sa reconnaissance de la ‘’marocanité du Sahara occidental’’ en contrepartie de la normalisation des relations de Rabat avec Israël.  La ‘’réserve’’ de Paris a été ‘’jugée sage’’ à l’époque. 

‘’Aujourd’hui, la diplomatie française semble davantage dictée par des intérêts économiques et stratégiques considérés sur le court terme, et qui conduisent Paris à faire le choix du Maroc, au détriment de l’Algérie. Cette légèreté à consolider un dossier aussi important, dans lequel la France n’a jamais eu de cesse d’être impliquée directement ou indirectement, suscite pour le moins l’étonnement et interroge sérieusement sur la manière dont on écrit les relations internationales’’.

 

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