Lemnouar Merouche l’historien de la vraie mémoire

Historien issu du mouvement national, spécialiste sans pareil de l’Algérie ottomane, bilingue comme on n’en fait plus, Lemnouar Merouche a été inhumé, samedi dernier, à El Alia en présence de la communauté universitaire et de militants de la cause nationale. Il avait 92 ans. Ce n’était pas une passe d’armes mais plutôt un échange indirect […] The post Lemnouar Merouche l’historien de la vraie mémoire appeared first on Le Jeune Indépendant.

Aou 20, 2024 - 03:50
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Lemnouar Merouche l’historien de la vraie mémoire

Historien issu du mouvement national, spécialiste sans pareil de l’Algérie ottomane, bilingue comme on n’en fait plus, Lemnouar Merouche a été inhumé, samedi dernier, à El Alia en présence de la communauté universitaire et de militants de la cause nationale. Il avait 92 ans.

Ce n’était pas une passe d’armes mais plutôt un échange indirect aux allures de ‘’thèse-antithèse’’ entre un chef d’Etat volontariste sur le front de la mémoire et un historien à la rigueur inattaquable. Le 30 septembre 2021, Emmanuel Macron réunissait dans les jardins de l’Elysée les ‘’petits-enfants de la guerre d’Algérie’’, dix-huit jeunes descendants de familles qui, d’une manière ou d’une autre, ont été au cœur du plus sanglant des conflits de décolonisation. Français d’origine algérienne, binationaux ou Algériens, les adolescents ont été conviés à dialoguer avec le chef de l’Élysée sur les mémoires de la guerre d’Algérie.

Propos parmi tant d’autres tenus par le chef d’Etat hexagonal pour la circonstance, celui-ci : « La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle et qui dit : tout le problème, c’est la France. », selon le récit du journal Le Monde qui était présent pour la circonstance. Macron y voit une « réécriture » inquiétante de l’histoire et affirme redouter « un renfermement » de cette mémoire et « un éloignement » avec le peuple algérien. Le président français va jusqu’à plaider pour une production livresque en arabe et en berbère destinée, soutient-il, à contenir « une désinformation » et « une propagande » qui sont « plutôt portée[s] par les Turcs » et qui « réécri[vent] complètement l’histoire ».

« La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder, dit-il devant des jeunots qui n’avaient pas encore franchi le cycle des études supérieures. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. Il y avait de précédentes colonisations. Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient. »

Harbi recadre Macron
Dix-huit jours plus tard, Mohammed Harbi répliquait au président français en convoquant l’Histoire. Invité par Le Monde à revisiter la page sanglante du 17 octobre 1961 à l’heure du 60e anniversaire, le doyen des historiens algériens a commenté, en réponse à deux questions précises, le point de vue du benjamin des présidents de la Ve République sur l’épisode ottoman en Algérie.

D’emblée, Mohammed Harbi a placé le curseur sur le terrain de la pédagogie académique. « Sur le propos de Macron s’interrogeant sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française, la réaction de l’opinion algérienne n’est pas seulement subjective.

Il faut rappeler que cette thèse de l’inexistence d’une nation algérienne et donc d’un sentiment national a été forgée à l’époque pour faire accepter la colonisation française. Il s’agit d’ailleurs d’un argument qu’on trouve largement développé dans le dossier présenté par la France aux Nations unies lors des débats sur l’Algérie avant 1962. Il n’y a rien de neuf. C’était le barrage qui avait été construit pour nier le droit de l’Algérie à son indépendance. C’est cela qui fait réagir viscéralement les Algériens ».

Relancé par le journaliste sur l’évocation par Macron de la « colonisation turque » qu’on aurait tendance à oublier au profit de la « colonisation française », l’historien a abondé dans une lecture de l’histoire complètement à rebours de la lecture du locataire de l’Elysée. « Au début du XVIe siècle, les Algériens – de l’époque – s’étaient tournés vers les Ottomans pour se protéger de l’empire de Charles Quint.

L’Empire ottoman était perçu comme un empire musulman, en tout cas dirigé par des musulmans. Les Ottomans ont organisé la protection de communautés entières en leur donnant des pouvoirs de gestion. Ils leur ont certes imposé des exigences, mais qui ont été moins contraignantes qu’on ne le pense. Ils ne se sont pas attaqués à la possession de la terre, comme l’ont fait les Français. Dans le système politique ottoman, les tribus ou les administrations disposaient d’une autonomie totale. Cela a pu tenir trois siècles avec, certes, des mises au pas de temps en temps. N’oublions pas qu’il y avait un consul français à Alger ».

A l’évidence, Mohammed Harbi s’exprimait en historien mais aussi en citoyen suffisamment éclairé en la matière. Des années du collège à Skikda à l’enseignement à l’université Paris 8, il a surfé sur l’ensemble des épisodes historiques de l’Algérie.

L’auteur — entre autres publications — de « L’Algérie et son destin : Croyants ou citoyens » (Arcantères) empruntait à son propre background. Mais il ne fait aucun doute que, sur cette page ottomane, il paraphrasait un peu un intime parmi les intimes, un de ces intellectuels de sa génération avec lesquels, au nom de l’amitié et de la confraternité académique, il aimait échanger.

Lemnouar Merouche – c’est de lui qu’il s’agit – est décédé mercredi à Paris à l’âge de 92 ans. Il a été inhumé samedi après-midi au cimetière d’El Alia. Professeur émérite à l’université d’Alger, membre fondateur de la revue « Naqd », le défunt fait partie des ‘’historiens algériens issus du Mouvement national’’. Une catégorie de militants-universitaires que l’historien Hassan Remaoun a sériés dans une remarquable communication à l’occasion d’un colloque – ‘’Elites et société dans le monde arabe. Le cas de l’Algérie’’ — organisé en 2002 à Timimoun.

Le chemin de l’exil
Natif de Bordj Ghedir (à la périphérie de Bordj Bou Arreridj), Lemnouar Merouche a eu sa licence d’histoire à l’université du Caire en 1958 à l’heure de ses années militantes sous la bannière de la Révolution. Il a complété son cursus par un doctorat en 1975 à la Sorbonne.

Le professeur laisse au crédit du savoir académique un travail à la fois fondateur et original. Un acquis scientifique qui, pour la postérité, portera sa griffe : « Recherches sur l’Algérie à l’époque ottomane ». Les bibliothécaires et documentalistes dignes de ces vocations n’hésiteraient pas une fraction de seconde pour suggérer ce travail aux chercheurs désireux de labourer cette thématique.

Référence parmi les références bibliographiques sur l’Algérie, les deux tomes de ce travail — Monnaies, prix et revenus 1520-1830 paru en 2002 et La course, mythes et réalité paru en 2007 (en arabe chez Casbah et en français chez Bouchène) — font autorité au sein de la communauté historienne.
Ami de Lemnouar Merouche et d’Abderrahmane Bouchène, Mohammed Harbi a été au rang des compagnons qui, de motivation en encouragement, ont poussé à la publication des deux tomes en français. Alors que les premiers exemplaires du tome II venaient à peine de quitter le siège des éditions Bouchène (Saint-Denis) en direction des librairies, l’historien s’est emparé de son stylo – son unique et éternel outil d’écriture – pour signer une double recension et, ce faisant, saluer la portée d’un travail ‘’pionnier’’ qui fera date. Mohammed Harbi a envoyé d’abord un texte à « Raison présente » — une revue scientifique – puis un second à « Jeune Afrique ». C’était en 2007.

Membre de la rédaction d’El Moudjahid (média de la révolution) entre 1958 et 1962, patron d’El Moudjahid en arabe entre 1962 et 1965 aux côtés de Youcef Fathallah et d’Abdelkader Kaci. Dans ses Mémoires filmés (Le Carnet rouge et éditions Syllepse), Harbi ne tarit pas d’éloges sur le rôle de Lemnouar Merouche sur le front médiatique à l’épreuve du verrouillage de la vie politique par Ben Bella.

Parlant de son remplacement par Amar Ouzeguane à la tête de « Révolution africaine », Harbi — cité par Christian Phéline dans « Alger, 20 août 1965. La discrète mise au pas de Révolution africaine »— estime que la ‘’gauche du FLN’’ a perdu son principal organe d’expression (en langue française) pour ne plus disposer que d’El Moudjahid en arabe ‘’sous la conduite intellectuelle du très respecté Lemnouar Merouche’’.

Lorsque le surlendemain du coup d’État du 19 juin 1965, le Conseil de la révolution procède à une reconstruction du paysage médiatique (naissance du quotidien El Moudjahid en français et fin du Peuple, d’Alger-Républicain et d’El Moudjahid en arabe), Lemnouar Merouche rallie l’ORP (Organisation de la résistance populaire) et quitte l’Algérie pour la France.

Illustration du mérite intellectuel de Lemnouar Merouche, sa moisson – qu’il a voulue riche de quatre tomes – a été mise en branle dans les conditions de cet exil forcé. Opposant au putsch maquillé en ‘’redressement révolutionnaire’’, il poursuit son militantisme outre-Méditerranée et franchit la porte de l’École des Hautes études de Paris, ‘’noble école où prévalait alors l’influence du groupe (animateur de la célèbre revue) des Annales d’histoire économique et sociale’’, fait remarquer Harbi dans la recension adressée à « Jeune Afrique ». C’est à l’École des Hautes études, fait valoir Harbi, que Merouche ‘’mûrit son projet d’arracher le passé algérien aux lectures fantasmatiques qu’en proposent le discours historique colonial et son envers, le discours nationaliste’’.

Dans la recension qu’il adresse à « Raison présente », Mohamed Harbi a recours à une formule forte imagée pour mettre en exergue le tome II. ‘’Alger n’est ni un « nid de pirates » comme le soutenait l’école coloniale, car la course se distingue de la piraterie, ni une superpuissance des mers comme la présentaient « les fabricants d’histoire nationale ». Ces thèses démontrent seulement que l’Histoire ne s’écrit pas en dehors du temps que vivent les historiens. Merouche le sait bien’’.

Pour autant, nuance Harbi dans « Jeune Afrique », Lemnouar Merouche trouve au discours nationaliste « des circonstances atténuantes, celles d’avoir dans une situation de grand danger jeté les fondements d’une identité nationale pour assurer la cohésion d’une communauté atomisée par la domination coloniale et désorientée. Mais de ce discours, construit sur un imaginaire obsolète, il s’est éloigné sans état d’âme pour œuvrer avec d’autres chercheurs à la réinterprétation du passé ».

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