Politique mémorielle parcellaire : Un livre épingle Macron

Jean-Philippe Ould Aoudia a traversé le siècle en s’en tenant sans jamais faillir à la mission qu’il s’était assignée au sortir de l’adolescence. Il avait exactement 20 ans, six mois et onze jours lorsque le 15 mars 1962 aux environs de 10h30 son père a été assassiné par l’OAS. Salah Henri Ould-Aoudia a été exécuté […] The post Politique mémorielle parcellaire : Un livre épingle Macron appeared first on Le Jeune Indépendant.

Jul 23, 2024 - 01:30
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Politique mémorielle parcellaire :  Un livre épingle Macron

Jean-Philippe Ould Aoudia a traversé le siècle en s’en tenant sans jamais faillir à la mission qu’il s’était assignée au sortir de l’adolescence. Il avait exactement 20 ans, six mois et onze jours lorsque le 15 mars 1962 aux environs de 10h30 son père a été assassiné par l’OAS.

Salah Henri Ould-Aoudia a été exécuté dans la cour du Château-Royal à deux pas de la cité des Asphodèles (Ben-Aknoun) en même temps que cinq de ses collègues, tous inspecteurs des Centres sociaux éducatifs : Mouloud Feraoun, Max Marchand, Ali Hamoutène, Marcel Basset et Robert Eymard.

Marque de fabrique de l’organisation terroriste de sinistre mémoire, le sextuple meurtre du Château-Royal a été commis trois jours avant la signature des accords d’Evian et quatre jours avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Sur fond de multiplication des crimes de l’OAS, c’était la tuerie la plus médiatique de la ‘’politique de la terre brûlée’’ que les Salan, Jouhaud, Godard, Susini et autres Lagaillarde avaient mise à exécution. 

Depuis ce tragique et triste jour, Jean-Philippe Ould Aoudia s’est engagé dans ce qui, vu dans le rétroviseur de l’histoire, constitue bel et bien le combat d’une vie, la sienne. En cheminant dans la vie adulte, le jeune orphelin s’est efforcé – péniblement — de faire son deuil en cultivant la mémoire de son père et de ses compagnons et, surtout, d’immortaliser l’épisode du Château-Royal dans la mémoire collective et dans le récit historique de part et d’autre de la Méditerranée. 

Après avoir bouclé de fort belle manière des études de médecine et soutenu en 1971 à Paris une thèse de doctorat intitulée « La Tuberculose ganglionnaire externe en Algérie », le natif d’Alger – ville meurtrie par l’OAS mais libérée — a endossé la blouse du médecin. Parallèlement à sa vie professionnelle et ses obligations familiales, il s’est lancé dans l’écriture livresque et dans la recherche historique. A l’évidence, l’histoire tragique de son père et de ses cinq compagnons est au cœur de son activisme débordant. Jean-Philippe Ould Aoudia préside ‘’Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Ferouan et de leurs Compagnons’’, une association créée au mitan des années quatre-vingt pour honorer la mémoire des ‘’Six’’, la cultiver dans la mémoire collective et prémunir cette histoire contre l’oubli.  

 

En 1992, quelques années avant d’hériter de la présidence de l’Association, Jean-Philippe Ould Aoudia signe, aux éditions Tirésias, un premier livre remarquablement documenté : « L’assassinat de Château-Royal ». Venu à point nommé pour combler un vide sur cette séquence tragique de la fin de la guerre d’Algérie, l’opus a été introduit par Germaine Tillon, amie des ‘’Six’’ et initiatrice des Centres sociaux éducatifs. ‘’Un fils enquête pendant trente ans pour connaître toutes les causes et circonstances de la mort de son père victime d’un crime organisé et prémédité’’, saluait l’ethnologue dans son propos introductif Le préfacier répond au nom d’Emmanuel Roblès, l’écrivain et dramaturge qui a publié « Le Journal’’ tenu par Mouloud Feraoun entre 1955 et la veille de son assassinat. Fort de ce premier né, Jean-Philippe Ould Aoudia a publié depuis chez les même éditeur sept autres livres autour de la guerre d’Algérie et de la page coloniale. 

Dernier livre en date, « OAS. Archives inédites, Révélations » (171 pages, 20 euros) est sorti en librairie à un moment où le parti qui défend la mémoire de l’OAS et s’efforce, depuis 1962, de la réhabiliter a failli s’installer à Matignon et gouverner. ‘’Le titre choisi par Jean-Philippe Ould Aoudia rend fidèlement compte du contenu du livre. Car « inédites », oui, les archives qu’il publie et commente ici le sont’’, fait valoir, en préfacière, l’historienne Sylvie Thénault. Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la colonisation et de la guerre d’indépendance algérienne, S Thénault est connue dans le monde académique pour avoir signé un travail fondateur sur la justice française à l’épreuve de la colonisation et de la guerre d’Algérie. 

Une page qui n’a pas livré tous ses secrets

Loin de changer son fusil d’épaule, Jean-Philippe Ould Aoudia estime qu’il y a toujours et plus que jamais matière à persévérer et chercher sur l’épisode du Château-Royal. Une page qui, à ses yeux, n’a pas livré tous ses secrets ou révélé tous les non-dits. Le fils de Salah Henri a saisi au vol la publication au Journal officiel d’un arrêté interministériel daté du 22 décembre 2021 – remplacé et complété par celui du 25 août 2023 – pour s’engouffrer dans les archives et glaner tout ce qui peut l’être sur le sextuple assassinat du 15 mars 1962. 

Ces deux textes règlementaires portent sur l’ouverture d’archives relatives à la guerre d’Algérie. Ils se veulent comme une ‘’dérogation’’ aux dispositions du Code du Patrimoine (volet archives). Un arrêté dérogatoire destiné à faciliter – au profit des citoyens, des chercheurs et de l’administration — l’accès aux archives publiques produites dans le cadre d’affaires relatives à des faits commis en relation avec la guerre d’Algérie entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966’’.

La dérogation profite à tous les documents qu’il s’agisse des archives conservées aux Archives nationales, aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM d’Aix-en-Provence), dans les services départementaux d’archives, dans le service des archives de la préfecture de police, dans les services d’archives relevant du ministère des armées et à la direction des archives du ministère de l’Europe et des affaires étrangères’’.

Jean-Philippe Ould Aoudia a consulté en particulier les documents déposés aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine (banlieue nord de Paris). Des documents, il y en avait et à profusion : une quarantaine de fiches issues du fichier central de la police judiciaire. Datées du 15 mars 1962, elles recensent les crimes commis par l’OAS en cette journée de terreur, l’une des plus sanglantes depuis la mise en branle de la ‘’politique de la terre brûlée’’.

Signée le général Salan, l’instruction n° 29 datée du 25 février est révélatrice de ce qui s’est passé sur fond de derniers rounds d’Evian. ‘’Il serait souhaitable qu’entre le 15 et le 20 mars, l’ensemble du territoire soit jalonné et carroyé par des zones insurrectionnelles’’, recommandait à ses tueurs le chef suprême de l’OAS. Jean-Philippe Aoudia a également passé au crible des PV d’audition dans le commissariat de police du 13e arrondissement (El-Biar), des réactions consignées dans des documents du Rectorat d’Alger et du ministère de l’Education, des documents de la Préfecture d’Alger et du procureur général près la Cour d’Alger, des archives de deux services de police judiciaire en Algérie, le SRPJ et le détachement de la police judiciaire en mission à Alger (DPJMA). 

‘’Des dossiers, en lien avec les enquêtes judiciaires réalisées par la police et/ou la gendarmerie, permettent de retracer l’itinéraire de criminels représentatifs des factions civiles et militaires de l’OAS’’ jusqu’à leurs décès, précise l’auteur. Outre ces archives ‘’étudiées en détail’’, Jean-Philippe Ould Aoudia a également consulté d’autres pièces. Cela lui a permis d’élargir son étude sur des ‘’aspects méconnus’’ de l’OAS et sur l’itinéraire et les motivations de nombre de ses éléments.  ‘’Ces archives déconstruisent définitivement le patriotisme du récit sur l’OAS tant il comporte de multiples et fortes distorsions au regard des sources, mais aujourd’hui encore magnifié par ses admirateurs’’, allusion aux différentes mouvances de l’extrême droite à pied d’œuvre dans la France de 2024. 

Quand la préfacière du livre interroge l’auteur sur ce qu’il a appris de la lecture des dossiers consultés après 2021, daté de la publication de l’arrêté interministériel, le fils de Salah Henri Aoudia lui répond d’un mot et avec des accents d’insistance : ‘’Tout’’. Entres autres choses apprises, ce ‘’tout’’ souligne ‘’en premier lieu l’existence même des investigations consécutives à l’attentat’’, précise Sylvie Thénault en paraphrasant Jean-Philippe Ould Aoudia. Un homme, portraiture-t-elle de manière succincte, qui ‘’a voué sa vie à tenter de savoir la vérité sur l’assassinat de son père et des cinq autres victimes de cet attentat ; puis, une fois le temps des larmes et du deuil passé, rester mobilisé contre l’extrême droite et les menaces qu’elle fait planer sur nos libertés’’.  

Jean-Philippe Ould Aoudia ‘’a la défense de la République chevillée au corps,  argumente Sylvie Thénault les yeux rivés en remettant en perspective les crimes de l’OAS et de son idéologie à l’aune de la France de l’après-1962. ‘’C’est ainsi qu’il faut lire les chapitres revenant sur les questions politiques et mémorielles, après les chapitres centrés sur l’enquête et ses documents-phares ; avec au cœur une contradiction d’autant moins facile à comprendre qu’aujourd’hui confrontée à un autre terrorisme, qu’évoque Jean-Philippe Aoudia, la République ne montre pas d’équivoque. Pourquoi et comment des tueurs et leurs partisans irréductibles de l’Algérie française ont-ils fini par être amnistiés voire parfois réhabilités ou à tout le moins défendus ? Pourquoi et comment leurs victimes doivent-elles alors se battre pour être reconnues comme telles ?’’

Comme historienne, Sylvie Thénault affirme avoir ‘’bien des débuts de réponses’’ à ces interrogations. Des débuts de réponses ‘’à puiser notamment’’, croit-elle, ‘’dans l’histoire des cultures politiques françaises, en particulier dans celles des droits et de leur recomposition’’. Au contraire de Vichy et de la Collaboration, explique la préfacière, ‘’jamais l’Algérie française n’a fait l’objet d’un désaveu consensuel.

De la sorte, elle ne constitue aucun rempart solide alors qu’au temps de la guerre d’indépendance (et au moins dans les années 1960 si ce n’est pas tard encore : jusqu’au sarkozysme ?), l’Algérie française servait de marqueur pour départager les droites et isoler les extrêmes en leur sein’’.

 

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