Pour la Maison-Blanche, Israël n’a pas encore franchi les lignes rouges

Si Israël a déjà en 48 heures perpétré trois tueries à Rafah, c’est évidemment parce que, d’une part, la Cour Internationale de Justice avait osé lui ordonner d’arrêter ses opérations à Rafah, ce qui de son point de vue est plus que révoltant, provocateur, et que de l’autre, le Hamas s’était permis d’envoyer sur Tel-Aviv une salve de roquettes, tirées, comble de cynisme, au contact quasiment de certaines de ses forces à Rafah. Ce n’est pas qu’il n’aurait commis aucun crime si ni la CIJ ni le Hamas n’avaient rien tenté contre lui ces dernières heures. Si après bien des hésitations, il s’était résolu à lancer son offensive sur Rafah, ce n’était pour qu’ensuite il ne commette aucun crime contre des populations qui sur la foi de ses propres assurances se croyaient en sécurité. Mais peut-être qu’il n’en aurait pas commis autant et en si peu de temps. Les Américains avaient commencé par dire qu’ils s’opposaient fermement à une offensive sur Rafah. Mais maintenant que celle-ci est en cours et que leurs craintes s’avèrent justifiées, les voilà qui disent que pour ce qu’ils en savent en tout cas, Israël n’a pas encore franchi toutes les lignes qu’ils avaient tracées pour qu’il sache à chaque fois où il se trouve exactement et où il va poser le pied.

En fait, les Américains ayant additionné le nombre de morts palestiniens de ces trois dernières tueries, et quoique toute vie humaine soit sans prix, ils en ont conclu qu’Israël avait en l’occurrence fait plutôt preuve de retenue, si bien qu’il a encore de la marge. A moins de cent morts, il n’aurait pas encore franchi les limites qu’ils lui avaient tracées. Il peut encore tuer quelques autres dizaines de réfugiés dans Rafah, encore qu’eux-mêmes préfèrent qu’il n’en fasse rien, d’autant que c’est mauvais pour lui aussi, car tout cela accroît son isolement dans le monde. Or Israël ne massacre pas seulement les civils juste parce qu’il lui reste de la marge, et que les Américains n’ont pas encore exigé de lui qu’il s’arrête, mais parce qu’il a soumis des propositions pour un accord d’échange de prisonniers, et qu’il est de bonne politique de sa part d’appuyer par des arguments massue, les seuls d’ailleurs qu’il estime à la portée du Hamas. Vous les acceptez, j’arrête le massacre. Vous les repoussez, je poursuis le massacre. Choisissez, mais vite, parce que je n’ai pas beaucoup de temps, et je n’ai pas que ça à faire. C’est ce que l’on peut entendre de ces frappes à répétition sur les camps de refugiés. On le voit, la guerre n’a pas changé de nature. Les combattants palestiniens abattent des soldats israéliens et détruisent leurs chars, et l’aviation israélienne massacre la population civile. Cela dure depuis 8 mois. Et c’est loin d’être terminé. Cela même ne fait que commencer. Or il n’existe pas qu’une seule voie menant à la libération des captifs israéliens : celle de la négociation. L’intérêt des prisonniers et de leurs familles serait qu’il soit fait de leur libération la priorité des priorités. Puis une fois celle-ci obtenue, libre à Netanyahou de reprendre la guerre là où elle a été laissée. Tout le monde en Israël et aux Etats-Unis est d’accord pour aller dans cette direction. Sauf le gouvernement israélien, qui lui veut dans le même élan éliminer le Hamas et libérer les prisonniers. Car s’il passe un accord en vertu duquel les prisonniers sont effectivement libérés, il ne sera pas là pour assister à la suite des opérations, il aura été renversé. Pour ce gouvernement, c’est une question de survie de faire en sorte qu’il n’y ait aucun accord, qu’il n’y ait que la guerre, durerait-elle encore des mois et des mois.