Soufiane Djilali au Jeune Indépendant: « Nous risquons une troisième guerre mondiale si l’Occident refuse la multipolarité »

Dans un contexte de bouleversements géopolitiques et de crise des valeurs, Soufiane Djilali, président de Jil Jadid et auteur de l’ouvrage La modernité, genèse et destin de la civilisation occidentale contemporaine, livre une analyse percutante sur les défis qui secouent l’Occident et les sociétés musulmanes. Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, il revient sur […] The post Soufiane Djilali au Jeune Indépendant: « Nous risquons une troisième guerre mondiale si l’Occident refuse la multipolarité » appeared first on Le Jeune Indépendant.

Sep 28, 2024 - 23:00
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Soufiane Djilali au Jeune Indépendant: « Nous risquons une troisième guerre mondiale si l’Occident refuse la multipolarité »

Dans un contexte de bouleversements géopolitiques et de crise des valeurs, Soufiane Djilali, président de Jil Jadid et auteur de l’ouvrage La modernité, genèse et destin de la civilisation occidentale contemporaine, livre une analyse percutante sur les défis qui secouent l’Occident et les sociétés musulmanes. Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, il revient sur l’évolution de la modernité, le rôle de la religion, la montée des extrémismes et les enjeux pour l’Algérie. Selon lui, l’Occident, face à la fin de son hégémonie, devra s’adapter à la multipolarité ou risquer un conflit mondial.

Le Jeune Indépendant : Comment est né votre ouvrage « La modernité, genèse et destin de la civilisation occidentale contemporaine » ?

Soufiane Djilali : Cela fait bien longtemps que la problématique du retard que notre société accuse face au monde développé me taraude. J’ai commencé par approcher la question à travers des auteurs qui tentaient de disséquer les raisons de notre état. Cependant, j’ai toujours eu ce sentiment qu’un maillon important manquait dans cette logique explicative. De nombreux auteurs, dont il faut saluer le travail, ont abordé ce sujet sous l’angle civilisationnel. Ils avaient raison. Toutefois, leur réflexion était introspective et comme inconsciemment, le monde moderne s’est installé dans notre imaginaire comme un modèle qui allait de soi.

L’Occident incarnait la réussite, tant sur le plan matériel que philosophique ou politique. Il a démontré sa créativité économique, a instauré les libertés, les droits de l’homme, l’Etat de droit et la démocratie en son sein. Ce qui était en question, c’est le fait, que nous autres pays musulmans en général, n’arrivions pas à franchir un mur qui nous enfermait dans notre sous-développement multidimensionnel.

Dans le sillage d’autres auteurs et avec ma propre expérience politique, j’ai voulu renouveler l’approche de cette question, avec, comme point focal, l’Algérie. En 2017, j’ai publié un essai qui s’intitulait « La société algérienne, Choc de la modernité, crise des valeurs et des croyances ». A cette occasion, j’ai essayé de mettre en lumière la nature de la société traditionnelle et les graves implications que le surgissement des valeurs modernes avait provoquées. L’idée centrale à laquelle j’avais conclu est que la société algérienne a été infiltrée puis comme happée par la modernité, qui l’a déraciné en induisant un trouble profond dans le fonctionnement de ses valeurs anthropologiques.

C’est alors que j’ai voulu prolonger mon travail avec l’objectif de définir un modèle de société pour notre pays et surtout, s’interroger sur le chemin à emprunter pour y arriver. Mais, au moment de rédiger l’ouvrage, j’ai commencé par réfléchir sur la modernité elle-même d’autant plus que celle-ci est aujourd’hui au centre de débats intenses en Occident même. Au final et vu le volume qu’aurait pris l’essai, j’ai opté pour la solution de deux ouvrages, le premier consacré à la civilisation occidental pour bien l’identifier quant au second, il tentera de répondre à la question initiale : quelle modernité pour l’Algérie.

De quelle manière votre parcours politique et académique a-t-il influencé votre analyse de la modernité occidentale ?

Vous savez, ma formation initiale ne me destinait pas forcément à ce type de réflexion. J’ai eu la chance de faire des études poussées dans la recherche scientifique à l’étranger. J’ai donc abordé le sujet avec des outils allogènes aux sciences sociales. L’esprit scientifique est plutôt rationnel et pragmatique. Il me fallait l’expérience humaine de l’action politique pour percevoir certains aspects de la société. Tout cela fait que mon ouvrage sort un peu des balises préétablies par la pensée académique.

Vous identifiez quatre piliers fondamentaux de la civilisation occidentale : la religion, l’État, la nation et l’économie. Pourriez-vous revenir sur ces quatre piliers spécifiques ? Et comment ont-ils agi pour façonner le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui ?

Comme je le précise dès la préface du livre, je n’ai pas fait un travail d’historien. Je n’ai pas découvert des faits nouveaux. Cependant, je me suis appuyé sur des références solides pour étayer une analyse et une compréhension nouvelles. Je revendique donc l’originalité de cette approche.

Pour moi, la modernité a surgi dans le champ social lorsqu’il y a eu convergence des dynamiques des quatre univers mentaux, eux-mêmes manifestation d’attributs biologiques d’Homo sapiens. En effet, très tôt, les humains ont eu besoin de se sécuriser en tant qu’individus et en tant que collectivité. Ce besoin les avait poussés à s’organiser pour faire face aux différents dangers. Cette organisation devait être hiérarchisée et à laquelle était dévolue l’autorité. L’Etat comme construction vient initialement de ce besoin de sécurité. La religion par ailleurs répond à une angoisse existentielle et induit secondairement la production d’une culture qui homogénéise mentalement les populations autour d’une vision du monde.

D’un autre côté, la dimension affective de l’humain le pousse à l’identification au groupe. Celui-ci passe de la simple famille, à la horde, au clan, à la tribu, à l’ethnie puis à la nation. C’est un processus intégrateur des identités. Enfin, le besoin physiologique a poussé les hommes à organiser leurs activités d’abord pour se nourrir, ce qui a abouti au final à la mise en place d’une organisation productive, d’où l’économie. Ces quatre piliers se sont construits chacun selon sa propre dynamique et en des temps différents, mais au final, il fallait qu’ils se renforcent tout en coexistant pour préparer le socle sur lequel la modernité s’est enracinée. Bien entendu je détaille, dans le livre, longuement les détails de ces processus.

Vous évoquez, également, le rôle que joue la religion dans la structuration de la société. Comment percevez-vous son évolution dans les sociétés contemporaines ?

Ce qui est paradoxal, c’est que, autant la religion a été nécessaire pour préparer mentalement et culturellement l’Europe à construire sa modernité, autant elle fut « l’ennemi » à abattre pour faire émerger l’homme moderne. C’est un peu comme en psychologie freudienne, il est nécessaire de « tuer le père » pour devenir adulte. Le Christianisme a émancipé l’homme en le libérant de son animalité mais celui-ci a fini par se retourner contre lui pour devenir en quelque sorte « Dieu » à la place de « Dieu ».

Cette idée que la religion a été à la base de la révolution industrielle et capitaliste a été énoncée au tout début du siècle par l’un des fondateurs de la sociologie allemande Max Weber. Il avait fait le lien entre le Protestantisme et l’esprit capitaliste. Plus récemment, E. Todd, dans son dernier essai fait, lui aussi, le lien entre le dépérissement du Protestantisme avec le délitement en cours de l’Occident. J’ai longuement abordé cette question dans mon essai en analysant le basculement en train de s’opérer du monde moderne vers la post-modernité.

Compte tenu de l’état actuel du monde, et particulièrement occidental, peut-on encore parler de sécularisation ?

Le monde occidental est passé par plusieurs phases. Dès le haut moyen âge, sa conversion au Christianisme lui avait permis d’harmoniser les mentalités. Mais avec les excès de l’Eglise, les élites européennes se sont insurgées contre l’absolutisme de ses croyances. La destruction de l’Église s’est accompagnée d’un lent mouvement de sécularisation encouragé par les sciences en plein développement. Les mathématiques, l’astronomie, la biologie etc… ont fini par désacraliser le monde. La religion s’est alors cantonnée dans la sphère privée alors que l’espace public s’est sécularisé. Le problème actuel de l’Occident est qu’il est dans une dynamique de destruction totale des valeurs anthropologiques traditionnelles. La perte de toute transcendance, abolit la morale, et ouvre grandes les portes au « retour du refoulé ». Aujourd’hui, ce sont les instincts et les pulsions qui sont érigés en repères. Cette évolution a créé un profond malaise de civilisation.

Quel rôle peuvent encore jouer les Etats-nation aujourd’hui ? Sont-ils un rempart contre les extrémismes de toutes sorte ?

La montée des extrémismes vient justement de la négation des nations. Je rappelle qu’il peut y avoir des nations sans Etat, comme il peut y avoir des Etats sans nation ou au contraire à multiple nations. L’Etat-nation est une forme d’organisation appelée à évoluer. Comme la nation est l’expression d’une identité collective, celle-ci peut encore s’élargir pour prendre l’aspect d’Etat-civilisation. J’ai donné d’ailleurs l’exemple de certains pays où il y a en leur sein une multitude de nations qui convergent sous un même Etat pour former une civilisation identifiée.

En Europe, la tentative d’intégration en un Etat supranational nécessite l’abolition du sentiment national. Par réaction, ceux qui tiennent à leur identité résistent à ce projet. D’où la montée des courants souverainistes.

Le monde évolue donc, souvent dans la douleur, pour converger vers des pôles plus larges que les simples Etats-nation. Par contre, le projet mondialiste qui veut imposer un gouvernement mondial unique est fondamentalement voué à l’échec. Même s’il devait se réaliser, il finira rapidement par se disloquer. C’est lié, encore une fois, à la biologie humaine. Nous tomberions, en tous les cas, dans un totalitarisme que même Orwell n’a pas imaginé !

Comment voyez-vous l’évolution future de la civilisation occidentale ?

Cela dépendra beaucoup de l’interaction qu’elle aura avec les autres civilisations. La Chine, l’Inde, la Russie, le monde musulman etc… auront leur mot à dire. La perte de la tradition chrétienne a ouvert la voie à la post modernité. Pour le moment, celle-ci n’est pas porteuse de grande promesse d’émancipation et d’élévation humaine. L’Occident finira par perdre son hégémonie et devra se résigner à la multipolarité. Ce processus est déjà très largement engagé. Si le monde occidental et à sa tête les Etats-Unis, refuse cette nouvelle réalité, alors nous risquons une troisième guerre mondiale dévastatrice pour toute l’humanité. Nous vivons une période historique fatidique. Soit la sagesse l’emporte et Homo sapiens passera à une nouvelle étape géopolitique soit l’hybris sera incontrôlable… Les jeux sont en train de se réaliser au Proche-Orient et en Europe.

Quels sont, selon vous, les plus grands défis que la modernité occidentale devra relever dans les prochaines décennies ?

L’effondrement démographique, la désindustrialisation, l’accès aux ressources énergétiques, l’endettement, la réorganisation des flux financiers et les nouvelles concurrences chinoises, indiennes et autres pays asiatiques en pleine ascension. Mais au-delà de ces défis déjà très lourds, c’est son éthique et sa raison d’être qui devront être revisités et ça, c’est particulièrement difficile.

En même temps, quels seront les grands défis du reste du monde ? (Orient, pays musulmans, arabes…).

D’abord et avant tout, garantir sa souveraineté et son authenticité. Tous ces pays sont menacés d’être engloutis par l’hégémon en plein désarroi qui veut les vassaliser et surtout leur imposer les oripeaux de ses « valeurs » nouvelles. Ensuite bien sûr, se doter d’une vision politique à même d’affronter le long chemin du développement qui ne doit pas se limiter à l’aspect matériel mais prendre en compte une dimension spirituelle absolument nécessaire pour l’équilibre de l’être. Vaste programme que je me propose d’aborder dans un prochain essai.

 

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