Younès Grar, expert en TIC, au Jeune Indépendant : «Il faut des mesures incitatives pour encourager le e-paiement»

L’adoption du paiement électronique traîne toujours. La généralisation des terminaux de paiement électronique (TPE) en Algérie est confrontée à plusieurs obstacles. C’est la raison pour laquelle l’extension de ce mode de paiement impose l’adoption d’une approche globale qui combine des mesures fiscales incitatives, une amélioration de l’infrastructure technologique, une lutte contre l’économie informelle et une […] The post Younès Grar, expert en TIC, au Jeune Indépendant : «Il faut des mesures incitatives pour encourager le e-paiement» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Sep 25, 2024 - 22:20
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Younès Grar, expert en TIC, au Jeune Indépendant :  «Il faut des mesures incitatives pour encourager le e-paiement»

L’adoption du paiement électronique traîne toujours. La généralisation des terminaux de paiement électronique (TPE) en Algérie est confrontée à plusieurs obstacles. C’est la raison pour laquelle l’extension de ce mode de paiement impose l’adoption d’une approche globale qui combine des mesures fiscales incitatives, une amélioration de l’infrastructure technologique, une lutte contre l’économie informelle et une profonde transformation des habitudes de consommation. C’est ce que préconise Younès Grar, consultant et expert en technologies de l’information et de la connaissance, qui revient, dans cet entretien au Jeune Indépendant, sur les différentes mesures incitatives qu’il faut actionner afin de donner l’élan souhaité au e-paiement.

Le Jeune Indépendant : L’Algérie veut accélérer le déploiement des moyens de e-paiement. Une généralisation des TPE au niveau des commerces est prévue pour la fin de l’année, sauf nouveau report, pour donner un coup d’accélérateur à ce mode de paiement. Cette volonté est cependant confrontée à une résistance des commerçants mais aussi des citoyens. Qu’est-ce qui explique cette situation selon vous ?

Younès Grar : La généralisation des TPE au niveau des commerces a été annoncée depuis plusieurs années. Mais cette mesure n’a pu être appliquée sur le terrain. Même les mises en garde à l’égard des commerçants, qui encouraient pourtant le risque de voir leurs commerces fermés, n’ont pas abouti depuis. Le délai est renouvelé chaque année. Donc, sur tout le territoire national, on est toujours, selon le chiffre de GIE monétique, à 58 000 TPE, ce qui est dérisoire par rapport au nombre de commerçants. Pourquoi ça n’a pas marché ? Premièrement, dans certains cas, il est demandé aux commerçants de payer le TPE. C’est l’équivalent de 50 000, voire 100 000 DA, ce qui représente une dépense supplémentaire pour le commerçant bien qu’il y ait certaines banques qui l’offrent gratuitement.

Par ailleurs, un prélèvement dans le compte du commerçant, en échange du TPE, est appliqué. Une somme donnée est prélevée chaque mois pour que celui-ci ne ressente pas le prix. Mais je ne pense pas que c’est là la seule cause de la réticence. Il faut savoir que les commerçants sont habitués à travailler dans l’informel. Et ce n’est un secret pour personne. Beaucoup de transactions commerciales se font dans le marché informel. Résultat : 90 milliards de dollars circulent dans l’informel. C’est quelque chose d’énorme.

C’est une réalité, tout le monde vend et achète au noir, en utilisant l’argent liquide sans passer par le circuit officiel. Les commerçants craignent de passer par le circuit officiel de peur, entre autres, d’être sanctionnés ou de faire l’objet d’un redressement fiscal. Ils préfèrent donc « rester cachés » dans le marché informel dilué. Finalement, personne ne peut estimer exactement ce qu’ils gagnent quand il faut payer la TVA, les impôts, l’IBS. C’est de l’argent net qu’ils encaissent mais il n’y a aucune trace au niveau des structures des impôts.

Comment inciter aussi bien les commerçants que les consommateurs à adopter le e-paiement ?

 

D’abord, il faut comprendre que cette situation s’explique par l’absence de culture de paiement électronique, d’usage des TPE ou d’autres technologies. Les gens sont habitués à utiliser l’argent liquide. Ce n’est donc pas évident de les ramener aisément vers le paiement électronique. Il faut encourager cette culture. Pour cela, des mesures incitatives s’imposent si l’on veut encourager le e-paiement, que ce soit pour les citoyens consommateurs ou les commerçants. On a constaté que même après le lancement du paiement électronique en 2016, il y a donc huit ans, il n’y a toujours pas cet engouement attendu.

Les gens continuent de payer cash, de se déplacer au niveau des agences pour payer les factures d’électricité, d’eau… Je pense qu’il faut revoir cette politique de vulgarisation et d’encouragement de l’utilisation du paiement électronique, dont les TPE. Quant aux problèmes techniques, pour qu’un TPE fonctionne, il faut qu’il soit connecté. Parfois, il y a des problèmes de connexion et de réseau au niveau de certains endroits. La couverture réseau fait parfois défaut, et c’est un élément qui décourage le commerçant. Il y a aussi de la réticence chez certains, ces derniers craignant de voir leurs données personnelles utilisées suite à des rumeurs ou des soupçons qui circulent sur les réseaux sociaux.

Aussi, il faut travailler pour vulgariser cette culture et rassurer les gens en leur disant que c’est un environnement de confiance. Le paiement électronique ça marche et tout problème a une solution. Les mesures incitatives sont obligatoires pour encourager les gens qui craignent d’adopter le mode du e-paiement.

Le consommateur est freiné par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont le taux est à 19 %. Autrement dit, s’il paye, à travers le circuit officiel, une marchandise qui vaut 10 000 DA, il est également obligé de payer 1 900 DA de TVA. Avec les difficultés financières que connaissent les citoyens et les familles, une telle somme est considérée comme lourde pour un père de famille. C’est pour cette raison qu’ils se dirigent directement vers l’informel. Ainsi, l’absence de facture pour le consommateur et le commerçant encourage davantage le marché informel.

D’autre part, durant une opération de paiement électronique, le commerçant et le client doivent payer les frais bancaires. Ce qui décourage aussi les citoyens. Pour leur part, les commerçants ont peur des poursuites de la part des services des impôts lorsqu’ils passent au circuit officiel. Il faut donc consentir un effort pour rassurer les commerçants vis-à-vis du paiement électronique, et ce en leur accordant des facilités relatives, entre autres, à la suppression ou à la réduction de la TVA pour toute transaction financière électronique mais aussi au niveau des impôts.

 

On peut donc comprendre que le paiement par carte « coûte cher » aux commerçants. Que faut-il faire pour y remédier ?

Il est nécessaire que le ministère des Finances ou le ministère du Commerce s’occupent de cette opération et la généralise, en orientant les efforts vers les activités commerciales dans lesquelles circulent un taux considérable d’argent liquide. Au lieu de demander aux boulangeries, pressing, cosmétiques… de se doter d’un TPE, alors que le chiffre d’affaires n’est pas très important pour le Trésor du public, je pense qu’il vaudrait mieux cibler ce processus et s’orienter plutôt vers les grandes surfaces et les grossistes. Et là, je pense que le ministère du Commerce a toutes les données sur les acteurs et les entreprises qui manipulent beaucoup d’argent liquide et dont le chiffre d’affaires est important, en sus de définir les activités où cet argent circule beaucoup, à l’instar de l’agroalimentaire, l’industrie et l’électroménager.

Ainsi, avec 1 ou 2 millions de commerçants ou de sociétés concernés par les TPE, on va se retrouver avec 100 000 à 150 000 TPE, ce qui est plus gérable.

En appliquant le paiement électronique dans des commerces qui manipulent beaucoup d’argent liquide, on va absorber une partie de cet argent et l’orienter vers le circuit bancaire. Cela va aider aussi le gouvernement à régler le problème épineux du marché informel, dont les fonds sont estimés à 90 milliards de dollars.

Si l’on fixe un objectif, à savoir absorber 10 % sur une année ou deux, parallèlement, avec ces mesures incitatives, comprenant la TVA à 0 %, des remises des taux de taxes sur le paiement électronique et les frais de banque, on pourra garder un équivalent de 10 milliards de dollars sur le circuit officiel, ce qui est très important.

 

On a toujours évoqué un problème de disponibilité des TPE, lesquels devraient être à l’avenir produits localement. Quels sont les problèmes d’approvisionnement et de fabrication de ces équipements en Algérie ?

En ce qui concerne les TPE, il faut admettre qu’il n’y a pas d’investissements dans la fabrication de ces appareils pour pouvoir couvrir les besoins de tous les commerçants qui veulent se doter de cet équipement. Il convient de noter qu’il y a une entreprise qui a essayé d’investir dans ce sens entre 2019 et 2020, avec un volume de fabrication et de montage de TPE qui avoisine 30 000 à 50 000 unités par mois. Cette activité a cependant connu beaucoup de difficultés. Selon les statistiques, depuis quatre ans, et malgré les avertissements et les mises en garde du ministère du Commerce, les gens n’ont pas répondu et on est toujours à 5 000 TPE par an.

 

Le paiement mobile peut-il constituer une alternative à même de donner de l’élan au paiement électronique ?

Un autre aspect qui va permettre de régler le problème du paiement électronique est le recours aux applications mobiles sans devoir passer par le TPE. Cela réduit à la fois les dépenses du consommateur et facilite la tâche pour le commerçant, lequel ne va pas s’encombrer avec les machines de TPE. Grâce à la technologie, on peut également opter pour le mobile paiement, qui est très répandu dans le monde entier. Ce type de paiement est moins contraignant et moins coûteux.

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